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Multiplication des centres d’échographie en Suisse romande: que révèle cette tendance en radiologie ?

En Suisse romande, les cabinets d’échographie se multiplient discrètement mais très rapidement. Alors que ces examens étaient jusqu’ici majoritairement réalisés au sein de grands groupes de radiologie ou dans des services hospitaliers structurés, on voit désormais fleurir des centres dédiés, souvent installés en ville ou en périphérie, parfois intégrés à des cliniques ou de cabinets pluridisciplinaires. Ce phénomène témoigne d'une transformation profonde du paysage radiologique suisse et résulte de la convergence de plusieurs facteurs structurels, économiques et démographiques qui redéfinissent les modèles d'exercice de la radiologie. L'introduction du TARDOC à partir du 1er janvier 2026 risque d'amplifier cette tendance, en modifiant substantiellement l'équilibre économique du secteur.


Une pénurie structurelle de radiologues qui ouvre des opportunités :

La Suisse romande fait face à un déficit chronique de radiologues qui crée un terreau favorable à l'entrepreneuriat médical. Selon une étude démographique menée 2024, près de 64% des radiologues exercent dans le secteur privé, avec un taux d'activité moyen de 77%, légèrement inférieur à celui du secteur public (88%). Cette démographie révèle plusieurs tensions structurelles majeures. Cette pénurie s'explique par un système de formation qui, bien que produisant annuellement 20 à 25 nouveaux radiologues disponibles sur le marché, ne parvient pas à suivre la croissance de la demande. Pour maintenir simplement la densité médicale actuelle tout en tenant compte du vieillissement de la population, il faudrait environ 30 nouveaux radiologues annuellement, un chiffre qui dépasse largement les capacités de formation actuelles. Cette inadéquation entre l'offre et la demande crée des opportunités pour des radiologues désireux de s'installer en indépendant, particulièrement dans des niches moins capitalistiques comme l'échographie.


Des facteurs économiques et organisationnels favorables

La concentration du marché et la recherche d'autonomie : Le marché de la radiologie suisse connaît une concentration croissante avec l'émergence de grands groupes. Cette consolidation, portée notamment par des fonds d'investissement transforme la physionomie du secteur. Face à cette consolidation et de financiarisation du secteur, certains radiologues recherchent justement l'autonomie professionnelle et le maintien de leur indépendance décisionnelle. Créer un cabinet mono-modalité centré sur l'échographie permet de conserver la maîtrise de son projet médical, de ses choix technologiques et de son modèle économique. Cette quête d'autonomie résonne particulièrement chez les radiologues qui refusent la salarisation ou l'intégration dans des structures où les décisions stratégiques sont prises par des directions non médicales ou des actionnaires financiers

Un modèle économique attractif centré sur l'échographie : L'échographie présente des caractéristiques économiques particulièrement favorables pour une installation en indépendant. Contrairement aux équipements lourds (IRM, scanner) qui nécessitent des investissements de 2 à 4 millions de francs pour l'acquisition et l'installation, un échographe de qualité professionnelle coûte entre 60'000 et 150'000 francs et ne nécessite pas d'engagement de personnel supplémentaire. Cette différence capitale réduit considérablement les barrières à l'entrée et facilite le financement bancaire.

Le secteur de l'échographie connaît une croissance dynamique : Les hausses de coûts dans ce domaine atteignent près de 20% par an, principalement du fait d'échographies pratiquées par des non-radiologues (cardiologues, gastroentérologues, angiologues). Cette croissance reflète une demande soutenue et une intégration croissante de l'échographie dans les parcours diagnostiques. Les radiologues qui s'installent en indépendant dans ce domaine peuvent capter une partie de cette croissance tout en proposant une expertise supérieure à celle de spécialistes non radiologues qui pratiquent l'échographie de manière accessoire.

L'innovation dans les modèles d'organisation : constitue un autre facteur d'attractivité. Des instituts ont développé un modèle "d'échographie mobile" où les radiologues se déplacent directement dans les cabinets de médecins généralistes avec du matériel de pointe. Ce modèle de "radiologie chez le généraliste ou au cabinet", également développé par des grands groupes permet d'optimiser l'utilisation des ressources, de réduire les ruptures de parcours pour les patients et de créer des synergies avec les médecins prescripteurs. Pour un radiologue indépendant, ce modèle offre une flexibilité et une réduction des coûts fixes liés à un local permanent.

La valorisation inégale des actes en radiologie : Avant même l'introduction du TARDOC, le système TARMED présentait des déséquilibres dans la valorisation des actes. L'acquisition et l'exploitation d'un appareil IRM ou scanner génèrent des coûts importants mais la Société suisse de radiologie souligne que "de nombreux instituts de radiologie peinent aujourd'hui déjà à maintenir leur offre au même niveau de qualité" face aux interventions répétées sur les tarifs. Les réductions tarifaires linéaires rendent les procédures nécessitant une infrastructure lourde "de plus en plus déficitaires". À l'inverse, l'échographie, avec un investissement moindre et des coûts de maintenance réduits, offre une rentabilité plus stable et prévisible. Pour un radiologue, se concentrer sur l'échographie permet d'éviter l'exposition aux risques économiques liés aux équipements lourds tout en maintenant une activité médicalement gratifiante et cliniquement pertinente. Ce choix stratégique s'inscrit dans une logique de minimisation du risque financier tout en maximisant l'autonomie professionnelle.


Les facteurs économiques et organisationnels favorables à l'installation d'une échographie
Les facteurs économiques et organisationnels favorables à l'installation d'une échographie

L'impact prévisible du TARDOC : un accélérateur du phénomène ?

Des baisses tarifaires massives pour les équipements lourds : L'introduction du TARDOC à partir du 1er janvier 2026 modifie profondément l'équation économique de la radiologie. Ce nouveau tarif, négocié entre les partenaires tarifaires après des années de travaux, vise une meilleure valorisation des consultations longues et des actes de médecine de base, mais au prix de réductions substantielles pour certains examens radiologiques coûteux. Les baisses prévues sont particulièrement sévères pour les examens utilisant des équipements lourds :​

  • CT de l'abdomen entier avec produit de contraste : -49%

  • Dépistage mammographique bilatéral : -47%

  • CT de l'abdomen entier natif : -26%

  • Première mammographie diagnostique : -30%

  • IRM du neurocrâne : -29%

Ces réductions tarifaires reposent sur la prémisse que "la radiologie est l'un des secteurs les plus technologiquement avancés et automatisés" et que "certains actes sont aujourd'hui beaucoup plus rapides et nécessitent moins d'intervention humaine qu'au moment de la création du TARMED". Si cette analyse peut être partiellement fondée pour certains examens standardisés, elle ne tient pas compte des investissements continus nécessaires pour maintenir des équipements de pointe, ni de la complexification croissante des examens et des protocoles d'imagerie.

L'échographie relativement épargnée : Contrairement aux modalités lourdes, l'échographie devrait connaître des ajustements tarifaires moins défavorables sous TARDOC. L'échographie ne nécessite pas les infrastructures coûteuses (salles blindées, systèmes de refroidissement, conformité aux normes de radioprotection) requises pour les IRM et scanners. Le modèle de coûts INFRA et KOREG utilisé pour calculer la prestation technique dans TARDOC pénalise donc moins l'échographie. L'impact combiné de ces ajustements tarifaires créera un différentiel de rentabilité encore plus marqué entre les modalités lourdes et l'échographie. Pour un radiologue évaluant son projet d'installation, les calculs deviennent particulièrement défavorables aux équipements lourds :

  • Investissement IRM/scanner : 2-4 millions CHF​

  • Durée d'amortissement : 10-15 ans

  • Baisse tarifaire prévue : 25-49% selon les actes

Face à ces perspectives, l'option d'un cabinet d'échographie avec un investissement de 60'000-150'000 CHF, des coûts de maintenance réduits, et une stabilité tarifaire relative devient nettement plus attractive. Le retour sur investissement apparaît plus rapide et plus sûr, réduisant l'exposition au risque entrepreneurial.


Un phénomène alimenté par des transformations plus larges

La consolidation du marché comme catalyseur : Paradoxalement, la consolidation du marché par les grands groupes favorise également l'installation en indépendant. Lorsque ces grands groupes acquièrent des centres existants, certains radiologues salariés de ces structures peuvent être tentés de quitter pour retrouver leur indépendance. Ces grands groupes standardisent également les pratiques, optimisent les coûts et rationalisent l'organisation, ce qui peut réduire l'autonomie professionnelle des radiologues salariés. Pour ceux qui valorisent le lien direct avec le patient, le choix des protocoles d'examen, ou la liberté dans la gestion de leur emploi du temps, créer un cabinet indépendant représente une alternative attractive.

Accessibilité : Les progrès technologiques rendent les échographes de plus en plus performants, compacts et accessibles financièrement. Les appareils portables de dernière génération offrent une qualité d'image qui rivalise avec les systèmes fixes à une fraction du coût. Cette démocratisation technologique abaisse les barrières à l'entrée et permet des modèles innovants.

L'intelligence artificielle (IA): l'IA commence également à transformer la radiologie, avec des applications d'aide au diagnostic qui améliorent la productivité et la qualité. Pour un cabinet indépendant, l'intégration de ces outils peut compenser partiellement l'absence de réseau de radiologues pour les seconds avis, renforçant ainsi la viabilité de structures de petite taille.


Les risques et limites du phénomène

Une potentielle dégradation de la coordination des soins : L'intégration des soins constitue un enjeu majeur de santé publique. Des centres multimodaux offrant radiographie, échographie, scanner et IRM permettent une prise en charge complète et coordonnée. Un patient peut parfois nécessiter plusieurs modalités d'imagerie complémentaires. La multiplication des centres d'échographie risque d'allonger les parcours, de multiplier les déplacements, et de fragmenter les informations diagnostiques

Les limites d’un modèle : Se focaliser exclusivement sur l’échographie n’est pas sans risque pour les radiologues. À moyen terme, cela peut entraîner une perte progressive de compétences sur les autres modalités – CT, IRM, mammographie, radiographie standard – avec un appauvrissement du profil technique et clinique. Sur le plan économique, bâtir tout un business model sur une seule modalité expose aussi fortement ces centres : si une future révision tarifaire venait à pénaliser l’échographie, leur modèle serait directement fragilisé, sans possibilité de compenser par d’autres prestations d’imagerie.

Concurrences des médecins cliniciens : Un risque stratégique majeur pour les centres qui misent quasi exclusivement sur l’échographie – en particulier ceux fondés sur un modèle d’échographie mobile – est la désintermédiation par les médecins prescripteurs eux-mêmes. En effet, dès lors que les cliniciens disposent d’une attestation SGUM/SSUM adaptée au type d’examen, rien ne les empêche de réaliser et de facturer directement les échographies au sein de leur propre structure. À moyen terme, cela peut entraîner une érosion progressive du volume d’examens adressés aux centres d’imagerie, une pression accrue sur les prix et, in fine, fragiliser la viabilité économique des modèles d’affaires centrés uniquement sur l’US.


Risques d'un business model uniquement centré sur l'échographie
Risques d'un business model uniquement centré sur l'échographie

Conclusion : le TARDOC comme accélérateur d'une transformation structurelle

  • L'essor des cabinets d'échographie indépendants en Suisse ne constitue pas un phénomène isolé mais s'inscrit dans une transformation structurelle du paysage radiologique. Cette évolution résulte de la convergence de multiples facteurs : pénurie chronique de radiologues, recherche d'autonomie professionnelle face à la consolidation du marché, avantages économiques de l'échographie par rapport aux modalités lourdes, évolution des aspirations professionnelles des nouvelles générations, et innovations technologiques et organisationnelles.

  • Le TARDOC va incontestablement amplifier ce phénomène. En instaurant des baisses tarifaires drastiques (jusqu'à -49%) pour les examens utilisant des équipements lourds tout en épargnant relativement l'échographie, il modifie radicalement l'équation économique de l'installation en radiologie. Pour un radiologue évaluant son projet entrepreneurial, l'arbitrage devient nettement favorable à un modèle centré sur l'échographie : investissement initial moindre, risque financier réduit, stabilité tarifaire relative, et flexibilité organisationnelle accrue.


Références :


Assistance d'IA pour la rédaction et la suggestion de références, mais la réflexion et les choix restent ceux de l'auteur.

 
 
 

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